Talk to Someone.

Un samedi soir de garde de plus pour moi, à vrai dire, je commençais à m'habituer à ces nuits à l'hôpital. En effet, elles étaient de plus en plus fréquentes ces temps-ci. Mon père, après m'avoir gentiment acheté un appartement pour ne plus me voir, m'avait coupé les vivres et je devais donc me faire, petit à petit, à cette nouvelle vie. Si vivre sans figure paternelle était déjà acquis, ce dernier ayant passé toute ma jeunesse à voyager d'un pays à un autre pour son boulot, apprendre à vivre sans argent "donné" avait été plus dur. Les voyages d'affaire de mon père m'avaient privée de sa présence mais m'avaient également offert un compte en banque doré. Je n'avais jamais travaillé de ma vie avant d'arriver à l'hôpital en vue de mes études, et quand bien même j'étais de garde, je n'avais jamais pensé à faire d'heure supplémentaire. Cette petite vie tranquille avait été chamboulée à l'annonce de mon "homosexualité", le fait que je sorte avec une fille ne plaisant pas à l'homme fier qu'il était. Me virer de la maison familiale avait donc été la meilleure solution à ses yeux et j'avais alors du apprendre à remplir ma carte bleue par moi-même. Tous ces changements étaient sans grande importance à mes yeux, j'étais avec la fille que j'aimais et mes amis étaient là pour moi, même si, au fond, je souffrais de cette dispute familiale, je tâchais de ne garder que le meilleur. Et si pour pouvoir aimer librement Ainsley je devais sacrifier mes week-end, je m'en foutais.
C'est dans cette optique que j'étais à l'hôpital ce samedi soir. J'aimais mes études, j'aimais ce travail, mais les nuits du Samedi au Dimanche les urgences étaient toujours blindées, j'étais très vite crevée. Cette soirée là était particulièrement éprouvante. Les bagarres et les accidents fusaient. Sortant du bloc, je me dirigeai vers la salle d'accueil, espérant tomber sur un cas moins lourd. Mes yeux parcoururent la foule et s'arrêtèrent sur un visage familier. Il y avait quelqu'un que je connaissais. Fatiguée, je mis quelques minutes à mettre un nom sur le brun qui me souriait. Il s'approcha de moi et me montra son bras, me demandant si je pouvais l'aider. Sa voix me fit l'effet d'un électrochoc. Alex, bien sûr. Nous nous étions rencontrés à un bar, il était venu me draguer. Je ne sais plus trop ce que je faisais là-bas, mais je n'étais pas dans mon élément, et me faire draguer par un inconnu sûrement déjà saoul ne m'avait pas enchantée. Je l'avais donc gentiment rembarré, puis nous avions fini par faire connaissance. Je ne savais pas grand chose sur lui hormis son prénom et son métier -architecte-. Et le fait qu'il se retrouvait à trois heures du matin à l'hôpital, au service des urgences, des bouts de verre dans le bras, mais il était sympa et soigner ça n'était pas très compliqué. Je ris légèrement de sa présence, levant les yeux au ciel en imaginant dans quelles circonstances cette blessure avait pu arriver, puis fis signe à l'infirmière que je m'occupais de lui avant de l'entraîner vers un box. Les interventions minimes dans le genre ne nécessitaient pas forcément la présence d'un médecin titulaire, et en cette nuit agitée, personne ne m'en voudrait d'alléger leur emploi du temps.
Je fis s'asseoir Alex sur un siège, préparai de quoi désinfecter la plaie et retirer les morceaux de bouteille, puis pris son bras pour me mettre à la tache. « Attention, ça va piquer. » Mes paroles dignes d'être adressées à un enfant furent accompagnée d'un léger rire. Je ne savais toujours pas comment ses bouts de verre avaient atterris ici. Mes yeux se levèrent vers son visage, et j'ajoutai en souriant. « J'imagine que tu n'es pas juste tombé sur une bouteille cassée, hein ?! » Je retirai de sous sa peau le premier morceau sans attendre la fin de ma phrase, optant pour la méthode "surprise", priant pour que le grand bonhomme qu'il était ne soit pas une chochotte.

Il faut avouer que le voir en train de gesticuler comme un enfant alors que je désinfectais la plaie était amusant, et l'entendre hurler quand je retirai le bout de verre ne fit qu'accentuer mon envie de rire. Je secouai légèrement la tête quand il râla et levai les yeux vers lui. Il avait facile la trentaine et correspondait parfaitement au portrait du grand macho. Je ris légèrement, le regardant toujours et lâchai « P'tite chochotte va. Arrête de bouger ou je vais vraiment te faire mal... » . Mes yeux s'attardèrent une nouvelle fois sur lui avant de se poser sur sa blessure. Il n'était pas mal, pour son âge. S'il avait essayé de me draguer, c'est qu'il devait être célibataire. Je repensai à la soirée de notre rencontre. A l'époque, je n'étais pas encore casée, et je me croyais 100% hétéro. A cette remarque, je tiquai, et manquai de lui enfoncer encore plus un bout de verre dans le bras. Heureusement, Alex s'était mis à parler juste à ce moment, me sortant de mes pensées. Il me raconta comment cela lui était arrivé, accompagnant cette anecdote d'un commentaire sur ma douceur inexistante. Au sourire qui suivit, je compris qu'il n'avait pas vu la bêtise que j'avais failli faire. Je soufflai un coup et lui sourit à mon tour. « Si t'arrêtais de faire le kéké aussi hein... Je suis sûre que votre dispute a démarré à cause d'une fille. » . Je me préparai à retirer un autre morceau de bouteille de sa peau, et mes pensées se perdirent à nouveau. Je n'étais pas lesbienne. Juste amoureuse d'une fille. Les hommes m'attiraient toujours autant. Je devais arrêter de me focaliser là-dessus. Le regard des autres n'était-il pas dénué d'importance ? Je devais passer au dessus de leurs commentaires. Plus facile à dire qu'à faire. Je regardai Alex, un léger rictus sur le visage. Peut-être que si je ne l'avais pas recalé à la soirée au bar, tout se serait passé différemment. Il n'était pas moche, j'étais certaine que dans d'autres circonstances j'aurais pu tomber sous son charme. Si j'étais tombée amoureuse de lui, on aurait peut-être pu se caser. Dans ce cas là, je n'aurais pas rencontré Ainsley, ou alors trop tard. Et ainsi mon père ne nous aurait jamais surprises ensemble, je n'aurais jamais été virée de chez moi et n'aurais donc pas à m'en faire pour mon compte en banque. Et je n'aurais donc rien à faire à l'hôpital en ce Samedi soir. Je secouai légèrement la tête. Mon esprit divaguait. J'étais amoureuse de la belle Ainsley, et tout allait parfaitement bien avec elle. La fatigue me faisait juste légèrement délirer. Le rictus sur mon visage devint plus franc, et je lâchai, non sans me retenir de rire « Allez. A trois, tu expires très très fort... 1... 2... 3 ! » . J'extirpai de son épiderme un morceau assez gros de la bouteille. Mon esprit taquin n'avait pas eu raison de moi cette fois-ci, j'avais réussi à résister à l'envie de tirer sur le débris avant la fin du décompte. En général, les patients cachaient leur douleur par fierté, ou même par pudeur. Quand les gens que je soignais étaient des connaissances, c'était différent. Ils n'hésitaient pas à me montrer Ô combien ils souffraient. Je posais dans un petit bac à côté de mes instruments de torture ce que j'arrivais à lui ôter du bras. Ce récipient se remplissant, je pris le coup de main pour que l'intervention soit la plus indolore possible. Réfléchissant à la bagarre, je posai mes questions habituelles de médecin. « Il t'a frappé à la tête ? T'as regardé si t'avais pas de bout de verre dans le crane ? Et t'as pas mal ailleurs ? » . Je pansai ses plaies puis, attendant ses réponses, m'écartai afin d'attraper le matériel prévu pour les examens habituels, la tension, etc.