Erase the past.

Les journées à l'hôpital étaient crevantes. J'enchaînais les heures aux urgences, sans prendre de pause, oubliant certaines fois de manger. Cette spirale avait commencé quand j'avais du remplir mon compte bancaire par moi-même, n'ayant plus mon père pour m'offrir une nouvelle carte bleue tous les mois. J'avais accumulé les heures supplémentaires, les nuits des week-end aux urgences, passant le reste de mon temps avec Ainsley. Soigner, sauver des vies, entendre un cœur qui se réanime, annoncer des bonnes nouvelles, puis des mauvaises, le bip de la défaite, les pleurs des proches On a fait tout ce qu'on pouvait, je suis désolée. Et c'était reparti. Les enfants, leurs craintes T'inquiète pas, ça va pas piquer. leurs cris, leurs rires, les mères soulagées, les mères attristées. Mon quotidien n'était qu'un éternel recommencement. Un recommencement qui m'épuisait, un recommencement auquel je m'accrochais. Liam, mon meilleur ami, n'allait pas forcément bien. Désespérément, j'essayais de le faire s'ouvrir à moi. Hôpital, Ainsley, Liam, hôpital, Liam, Ainsley, hôpital, Liam, hôpital, Liam. J'allais le voir, je l'appelais, je le faisais venir. Et ma copine était lentement sortie de mes habitudes. Je pensais toujours à elle. Elle était toujours la seule, celle que j'aimais, mais j'avais d'autres choses à faire, et je ne trouvais pas toujours le temps de lui rappeler que ne l'oubliais pas. Alors elle s'énervait. Jalouse. Je répliquais, fatiguée, que Liam était mon meilleur ami. Que s'il avait besoin de moi, je me devais d'être là. Elle ne semblait pas comprendre. Je m'énervais, je partais. Appelle-moi quand t'es calmée. Je soupirais, et glissais, avant de partir, Je t'aime. C'était toujours la même chose. Mais je ne pouvais pas mettre mon ami d'enfance de côté. J'avais grandi à ses côtés. Il avait été le seul à être là quand j'étais tombée en dépression, après le décès de ma mère. Il m'avait accueillie quand mon père m'avait virée de la maison familiale. C'était comme ça. et les urgences, toujours. A bout de nerfs, je souriais aux patients, soignant leurs blessures. A bout de force, je souriais à Liam, Tout va bien mon beau, tout se passe bien avec Sly, oui, je l'aime. Et toi ?. Évidemment, il s'était rapidement refermé, me répétant quand tout était ok, si si, que je devais pas m'en faire. Et je n'avais plus qu'à rentrer chez moi, après une journée de boulot, seule. Si j'appelais Ainsley, la dispute allait éclater. J'étais fatiguée, trop fatiguée. Si je restais sans rien faire, j'allais penser à elle, et m'énerver. J'étais folle amoureuse d'elle. Alors je me relevais et retournais à l'hôpital, pour occuper mes pensées plus que mon porte-monnaie.
Après une journée passée aux urgences, mes pas me dirigèrent comme un automatisme vers les vestiaires des externes. Je me changeai, pris mes affaires et allai vers l'accueil. J'avais décidé d'aller voir Sly dans la soirée. Il fallait que je lui parle. Je redoutais spécialement ce moment. Je n'avais pas la force de vivre une dispute, elle allait gueuler, j'allais pleurer. Je savais que nous finirions par nous réconcilier. Je m'étais juré de ne pas partir de chez elle avant la réconciliation, cette fois. Je ne pouvais pas fuir toute ma vie. Je m'adressai à l'infirmière à l'accueil, pour valider mon après-midi de boulot. Mes pieds, récalcitrant, traînèrent vers la sortie, quand je vis un gamin pleurer. Je m'approchai de lui, lui demandai ce qui n'allait pas -il était perdu- et retrouvai ensuite sa mère. J'aurais fait n'importe quoi pour repousser le moment où j'allais devoir me résoudre à sonner à la porte de ma petite-amie.
Comme si mes prières avaient été entendues, quelqu'un me héla. Je me retournai et aperçu Allie. Un immense sourire se dessina sur mon visage. « Coucou ma belle ! » Je ne l'avais jamais autant aimée qu'à l'instant présent. En quelques sortes, ce n'était pas difficile, notre relation avait toujours été tendue. En effet, elle n'avait jamais apprécié que je m'incruste dans sa famille de la sorte. Alors que son frère jumeau était mon meilleur ami, elle m'avait toujours rejetée. Au final, on ne se connaissait pas. Récemment, elle avait vécu une déception sentimentale qui l'avait poussée à rentrer chez les Spenson alors que moi même j'y résidais temporairement. Ma bonne humeur m'avait poussée à lui parler. Je voulais qu'elle sache que si elle avait besoin, j'étais prête à effacer ces mauvaise années, et à être là pour elle. Elle était la sœur de mon meilleur ami, c'était normal. On avait bu un verre ensemble, le courant était bien passé. « Non, à vrai dire j'ai travaillé là cet aprem. Et toi ? Un rendez-vous pour quoi ? » Sur mon visage, toute la fatigue s'était effacée. Comme à mon habitude, je rayonnais de bonne humeur. Je ne savais que trop bien prendre ce masque. Mon bras passa automatiquement sous le sien, comme j'aurais pu le faire avec une vieille amie et je l'attirai vers la cafet. « Ca me fait plaisir de te voir ! » Je ris légèrement. Ca me faisait vraiment plaisir de la voir. Non seulement parce qu'elle m'éloignait du moment de la dispute avec Ainsley, mais aussi parce que j'avais vraiment apprécié notre précédente soirée, et que je tenais à ce que notre relation reparte sur de bons pieds.

Nos pas nous amenèrent tranquillement vers la cafétéria. Toujours le bras sous le sien, je l'écoutais me raconter qu'elle allait travailler ici. Mon sourire s'agrandit à cette nouvelle. J'aimais l'idée de tisser des liens avec la jumelle de mon meilleur ami. Cette situation n'avait pas forcément toujours été facile pour lui. La brune m'avait rejetée, sûrement de peur que je ne lui vole sa famille. En effet, les Spenson m'avaient toujours accueillis chez eux, je m'y sentais comme chez moi, et cette jalousie me avait fini par me faire doucement culpabiliser. Les tentatives vaines de Liam pour nous réconcilier avaient, à chaque fois, fait augmenter ce sentiment. Je ne voulais pas être une "voleuse", ni "m'incruster". Alors, souvent, face à elle, j'avais préféré m'effacer, notamment lorsqu'il s'agissait de son frère. Si ce nouveau boulot pouvait nous aider à mieux nous connaître, ce n'était qu'une bonne chose, j'étais sûre que nous nous entendrions bien. A vrai dire, nous avions le même entourage, ayant grandi dans le même quartier, nous partagions tout. Il ne pouvait en être autrement. Je souris de plus belle en l'entendant dire que cela lui faisait plaisir de me voir. Tout commençait si bien. Je poussai les portes battantes et la laissai passer, lui faisant peur de la bonne humeur que cette nouvelle m'avait amenée. « Oh mais c'est super ! On va bosser au même endroit alors ! Tu vas voir, tout est carrément cool ici... sauf les muffins ! » Je lui pointai du doigt les gâteaux dans le self et parlai plus doucement. « Il paraît qu'un interne a trouvé des fourmis dedans... ou des bêtes dans le genre. » Mes yeux se levèrent sur son visage, tandis que le mien prenait un air dégoûté. Heureuse d'avoir une discussion pareille avec celle qui m'avait détesté tant d'années, je souris à nouveau et haussai les épaules. « Menfin c'est qu'une rumeur... Je te les déconseille juste ! » . Je ris légèrement et allai commander deux cafés, accompagnée de la jolie brune qui continuait de me parler. Mon air heureux s'évanouit un instant, quand elle me demanda si j'étais sûre que tout allait bien. Je n'avais pas l'habitude d'être découverte, sachant parfaitement cacher mes différentes sautes d'humeur. Mes cernes devaient avoir atteint un point critique. Prenant les cafés pour aller à une table, je répondis à la question indirectement, réadoptant le masque de la fille heureuse « Tout va bien, c'est simplement que, justement, je suis aux urgences ! Et enlève ce sourire de ton visage, tu vas voir, tu vas rapidement ressembler au zombie que je suis ! » Un rire s'échappa de ma bouche, et m'asseyant en face d'elle, je lui fis un clin d’œil. Je n'avais pas vraiment menti, le boulot à l'hôpital était une des raisons de ma fatigue. Au mensonge par omission, je plaidais coupable, ayant volontairement oublié de lui parler de mes problèmes de couple. Je n'aimais pas me plaindre, et même si je me sentais parfaitement en confiance avec Allie, je n'étais pas prête de changer mes habitudes. Je portai le café à mes lèvres, profitant de cet instant de pause pour observer cette fille que je connaissais si peu, et qui me semblait si proche. Avais-je déjà pris le temps de la détailler du regard ? D'écouter sa voix, et pas juste de l'entendre ? Tous ces réflexes que nous avons avec nos amis... tout ça ne m'était jamais venu à l'esprit. Et pourtant, j'avais l'impression de déjà partager quelque chose avec, ne serait-ce qu'à cause de notre passé commun. Je l'avais toujours vue sa la regarder, l'évitant presque. Buvant plusieurs gorgées, mes yeux se perdirent sur son visage, mes pensées se mélangeant. Je ne savais pas comment agir avec elle, chaque approche m'apportant la crainte d'un changement d'avis, d'un retour à la case départ. D'un coup, je me rendis compte que je la fixais depuis un certain moment. Je secouai la tête, réveillant mon esprit, et priai pour qu'elle n'ait pas remarqué que je la dévisageai si indiscrètement, ce qui aurait rendu la situation nettement plus inconfortable.

Le regard perdu dans mon café, j'écoutais ce que la brune avait à dire en souriant. C'était un nouveau départ, un nouveau départ pour nous. Nous effacions le passé, disant au revoir à toute l'animosité que nous avions pu connaître, pour repartir sur de nouvelles bases. De bonnes bases. Tout allait bien se passer, j'en étais persuadée. Et puis, elle n'était pas violente. A cette annonce, je ris légèrement, reposant mon regard sur elle. Elle rajouta que le méchant jumeau était Liam, ce à quoi je ne pus m'empêcher de rire à nouveau. Liam était tout sauf méchant. Peut-être un peu... mauvais garçon, de temps en temps, mais il était adorable. Il était la seule personne à qui j'aurais tout donné. Buvant tranquillement mon café, je commentai « Si t'es pas violente, ça va ! Faudra te méfier de moi par contre, quand j'ai faim... » Je ris à nouveau et lui fis un clin d'oeil, surprise moi-même par ce geste plutôt affectif. Ce qui nous liait avec Allie avait toujours été négatif, je n'avais pas l'habitude d'être proche d'elle, même pour les choses insignifiantes dans le genre. Cependant, j'étais prête au changement, et plus que jamais. Ma fatigue et ma mauvaise humeur précédentes m'avaient abandonnée, me laissant souriante avec la jolie brune se tenant devant moi.
A ses derniers mots, je ris une nouvelle fois. Je n'avais aucune envie de partir d'ici, sachant très bien que ce qui m'attendait dehors serait beaucoup moins jovial. Je passais pour l'instant du bon temps avec quelqu'un qui pourrait devenir une bonne amie, et c'était le plus important. « Ah, c'est bête, il y pas de brownies ici... Perso', tant qu'il y a du chocolat, j'aime ! Brownies, muffins, cookies... Une vraie morfale ! » . Un rire s'échappa de ma bouche. J'avais toujours été gourmande, et cela n'allait sûrement jamais changer. Le chocolat était mon carburant contre les gardes trop longues, ou les disputes trop intenses. « Je fais peur à ce point ? Oui, je fais la nuit de temps en temps. Ça dépend de ce qui m'arrange. » . Je souris. Je mentais. Cela dépendait seulement de mon état. Si je n'étais pas épuisée à m'effondrer de sommeil, je venais travailler. Mon boulot était devenu mon somnifère préféré. Je m'usais à la tâche pour pouvoir m'endormir sans penser à quoi que ce soit en rentrant chez moi, peu importe l'heure à laquelle ça m'emmenait. Les problèmes récents avec Ainsley allaient peut-être ruiner mon moral, mais ils allaient dans tous les cas me faire progresser dans mes études, aussi ironique cela puisse-t-il paraître.
Voulant sortir de mes pensées, mes yeux parcoururent Allie de haut en bas, et je me rappelai que la dernière fois que je l'avais vue, elle était en pleine déprime post-rupture. M'inquiétant presque de sa remise sur pieds, je rajoutai, la regardant avec un petit sourire « Et sinon, les amours ? Ca va mieux, toi ? » . Je savais qu'elle voyait ce que je voulais dire par "aller mieux". Dans tous les cas, je me doutais que sa réponse serait positive, étant donné qu'il était difficile de faire pire que lors de notre soirée passée toutes les deux.